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Etes-vous confiné ou barricadé ?

homme dans tunnel

Créé le 29/10/20   

Un article pour partager mon expérience de confinements qui m'ont indiqué que l'attitude mentale faisait tout dans la manière de supporter ce temps de liberté restreinte. Le confinement, une période propice à l’introspection, à la cohabitation, au questionnement sur les raisons collectives et ses choix individuels.

Par Pierre PAPERON, Conseil et créateur de projets disruptifs et technologiques

Trois confinements vécus de deux mois

Le premier a été sur le sous-marin nucléaire Le Redoutable, pendant et à la suite de mes EOR CheQua (Ecole des officiers de réserves, option Chef de Quart), à l'âge de 22 ans. 135 mètres de long, 135 personnes. Perte totale du contact avec le monde habituel avec une simple réception d'un familigramme des proches d'une vingtaine de mots par semaine. Ambiance plutôt serrée comme visible dans la tranche torpille dont j'avais la charge.

                                       


L'expérience a été riche sur de multiples plans, l'un d'entre eux étant d'être porté par une imagerie de Jules Verne (j'étais "vingt mille lieux sous les mers", livre et Kirk), le second de vivre "en profondeur" la guerre froide car les 16 missiles ou 400 Hiroshima à 15 m derrière la table à carte et le sonar étaient un dispositif clé pour dissuader de rendre cette guerre plus "chaude" Les postes de combat hebdomadaires rajoutaient la pression qu'il fallait pour rappeler cette tension particulière aux zones de combat, en plus de la vigilance H24 pour écouter et discerner entre les bruits de baleines, crevettes, bâtiments de surface ... les sous-marins ennemis. Mais vous avez tous vu le "Chant du loup" donc vous savez tout :)

Ce premier confinement m'a tellement plu, et je reviens après pour expliciter les raisons, que j'ai prolongé de 4 mois ma période initialement prévue de 15 mois pour faire une seconde patrouille sur un autre SNLE, le Foudroyant, qui a été mon deuxième confinement.

Le troisième confinement s'est fait lui à ciel ouvert en prenant la décision au tout début de l'an 2001 de tenter l'Everest. Vous avez tout de suite des images de blancheurs étincelantes, grands espaces pour gambader ... mais la réalité est tout autre, c'est un long moment d'acclimations successives à l'altitude, de confinement dans des tentes et duvets, pour pouvoir enfin tenter une montée vers le sommet.

C'est de ces trois confinements que je peux tirer quelques enseignements qui peuvent être utiles à qui pratique ou subit cette contrainte pour la première fois.

1) Etes-vous confiné ou barricadé ?

Derrière cette question étrange se cache en fait un renversement de perspective, un retournement de chaussette, une possibilité d'éveil à des potentiels nouveaux pour les jours encore à venir.

Le confiné est quelqu'un qui subit, un peu comme un prisonnier que l'on a enfermé. Vous êtes comme l'oiseau en cage, soumis au bon vouloir d'une toute puissance, publique en l'état. La conséquence immédiate, "faire passer le temps" devient l'activité principale.

Le barricadé est lui dans un mode actif de défense. Il prépare la contre-attaque. S'il est enfermé c'est bien pour se protéger, lui et les siens ou les voisins éventuellement. Cela déjà en soi pousse à s'organiser, à mettre en place des actions, à regarder ou scruter l'extérieur comme étant la nouvelle zone de doute et pas le paradis perdu que le simple confiné reluque avec crainte.

Pour le sous-marin, tout le monde est barricadé car en lutte contre un ennemi extérieur et aussi protégé par une épaisse coque de 15 cm d'acier le plus solide qui soit. En revanche la mobilisation est permanente pour détecter la moindre anomalie et choisir la réponse appropriée.

                                         

L'Everest m'a appris de ce point de vue-là à apprécier toutes douches que je prends d'ailleurs froides depuis cette période mais aussi la possibilité de se coucher sous une simple couette et pas "barricadé" dans un duvet -40°C que l'on appelle ... sarcophage.

Saurons nous profiter de ce confinement pour accepter ce qui paraissait inacceptable auparavant ? Cette expérience collective non désirée fera-t-elle émerger des vertus dans nos vie d’après ?

2) Etes-vous pour la soustraction ou pour l'addition ?

Question étrange (je l'ai fait exprès, la réalité est altérée en confinement prolongé :) qui permet de classer les confinés ou barricadés en deux catégories très différenciées.

L'additif est celui qui dès le premier jour se dit que c'est une peine à tirer et, bien souvent, au moins dans les sous-marins, le calendrier avec les dates cochées était le symbole de cet état d'esprit. Attention, ce profil passe beaucoup de temps à table et peut prendre 25-40 kg en 60 jours sur les sous-marins.

Le soustractif est en revanche celui qui voit le temps qui lui reste comme une formidable opportunité pour faire des tas de choses qu'il ne fera plus jamais dans sa vie car la configuration est idéale pour mettre en place une routine.

Mon choix a été l'apprentissage de l'espagnol et celui du japonais à la seconde patrouille : 10h par jour et la préparation d'un voyage au retour pour renforcer la motivation ... car celle-ci est une des fondations d'un confinement "réussi".

3) Quel est votre why ?

Le "why ?" est une question vertigineuse car la réponse peut changer à chaque instant. Elle va changer parce que les perspectives vont évoluer au cours de la période de confinement. Parce que si vous avez ces symptômes qui apparaissent, les why de bienveillance pour le monde entier disparaissent. Parce que le why utile pour se lever n'est pas le même que le why pour aller faire un minimum d'activité dans la journée.

Un why collectif existait sur le sous-marin. "Défense de la France" pour faire simple. Le why individuel était en revanche beaucoup plus diffus, le mien a été d'apprendre des langues avec 10h de pratique par jour et préparer un voyage. D'autres sculptaient ou peignaient. J'étais officier distraction et gérait la location et le passage de 240 films (cycles Lelouch, Bunuel, westerns spaghetti, Lawrence d'Arabie ... larmes garanties en plein milieu de l'océan ...

Le why collectif n'existait pas pour l'expédition de l'Everest, chacun avait le sien ... ou pas. Un titre de "summiter" pour un journaliste, une première féminine pour un autre membre, un but de premier arabe pour Zedi, "enfin le sommet" pour un guide malade à 7000m, ...

Dans tous les cas, cela a été la perception d'un moment unique à vivre qui ne se reproduira pas dans la vie qui a été ma motivation pour tenir. Et vous savez "quand le why est bon" (si si, c'est du Goldman) à la quantité d'énergie qui est soudainement à votre disposition.

Dans le cas d’espèce du Covid-19, le confinement est, a priori, non souhaité, et subi sous la pression mortelle du virus. Le questionnement de chaque personne sur son why reste fondamental, et pas seulement sur le plan individuel – me préserver – mais aussi sur le plan collectif – préserver les autres. Et c’est bien ce rapport de l’un à l’autre, la mise en perspective de l’intérêt de court terme avec le long terme qui va justifier le confinement et construire les comportements individuels.

4) La projection

Avoir un projet. Le penser, l'élaborer, le construire, le nourrir, le faire vivre ... Essentiel. Pourquoi ? Car projet a la même étymologie que projection. Et c'est ce dont on a besoin pour s'abstraire de ce temps obligatoire à certains moments. Dans le cas de l'Everest cela a été cette focalisation pendant un mois et demi sur la préparation de l'assaut final. En plus des 5 ans avec un marathon tous les dimanches matins, j'avais préparé une routine de relevé d'une trentaine de paramètres physiologiques et au camp de base à 6400 m, j'ai poursuivi en modélisant la météo sur mon carnet pour mieux la comprendre et l'apprivoiser (et cohabiter sereinement avec la crainte ressentie en bas d'un tel monstre au volume 10 fois supérieur au Mont Blanc). Ce qui m’a permis de définir les règles d'engagement : quel point de rebroussement, de demi-tour ? Comment ne pas aller trop loin ? Une méthode de visualisation mentale du risque par un cadran doté d'une une aiguille pour revenir entier.

Pour le SNLE, cela a été pour la première patrouille la révision de tous mes cours de pilote d'avion pour faire un stage de delta plane déjà réservé au retour. Pour la seconde la préparation d'un tour du monde de 6 mois avec 4 mois au Japon.

Actuellement, grande motivation pour publier un "bulletin météo de temps de guerre" tous les matins à 7h, comme un mini camp d’observation planétaire du combat de l’humanité contre ce nouvel agent pathogène, relai individuel vers la connaissance collective. Et pas de temps pour regarder Netflix ou Prime ...

                       

Bien d'autres éléments propres à chacun

Je ne vais pas élaborer pour les autres méthodes ou approches qui permettent de tenir le confinement. A chacun de faire son mix car les méthodes copiées-collées marchent un temps

si, en plus d'être confiné, vous vous enfermez vous-même dans un process ... on peut qualifier cela de maso-confinement

                           

Et la liste est longue. Apprendre un instrument de musique. Améliorer ses compétences culinaires. Passer du niveau 8 au niveau 12 au sudoku. Réviser toutes les ouvertures de Spassky ou apprendre le jeu de go. Maitrise les 4 applications du quantique. Comprendre et pratiquer les 23 intelligences humaines. Tenir un carnet avec des ToDo's list ou pour être un peu plus tendre et bienveillant, des Tout Doux liste ... Ecrire mais surtout pour soi SVP, les carnets de confinements (et pire encore les vidéos), sont tous à la cheville des plus belles pages de la littérature qui a 300 ans d'avance et dont certains récits ont occasionné un prix Nobel (100 ans de solitude).

Une opportunité unique de préparer votre vie nouvelle

Il y aura eu un avant et un après cette crise ou guerre bactériologique. C'est l'exercice obligatoire de civisme et de réflexion le plus violent qui n'ai jamais été administré à une population entière (et même une espèce humaine) sur des sujets clés : quel est mon degré d'acceptation de ma mort certaine ? Quelle est ma gestion du temps habituelle : je le fais passer, je l'investis, je le respire ? Quelle est ma liberté réelle par rapport aux autres, mon travail, mes habitudes, l'Etat ? Est-ce que je reviens à l'ancienne normalité ou est-ce que je pense une nouvelle normalité ? Quels sont mes cliquets anti-retour à la routine ?

Un très beau proverbe sud-américain illustre la force de cette confrontation avec la grande faucheuse au travers des proches qui meurent, des symptômes que l'on a ressentis ou pas, des amis professionnels de santé qui racontent la désolation de leur service, au livreur de journal furtif à 4h25 tous les matins, aux caissières masquées qui côtoient 200 personnes par jour pour 1200 euros par mois ... (et on sent la nouvelle hiérarchie en train de naître avec la graine plantée entre "être essentiel" ou ne pas l'être, par défaut ...)

on sait pourquoi on vit quand on sait pourquoi on est prêt à mourir

Et il y a des moments où l'on choisit, d'autres un peu moins - les fins de mois vont être encore plus dures pour la moitié des Français.

Et si votre motivation flanche pendant cette période, ayez une pensée pour ceux qui partent le matin ou sont restés toute la nuit en première ligne de la bataille qui se joue. Toutes celles et ceux qui prennent des risques pour que le confinement nous soit acceptable, pour notre protection collective. Que nenni la porte de 7 cm pour les protéger, c'est 1 mm de tissu qui les protège. Je ne pense pas que beaucoup avait mesuré la portée "épique" de la promesse faite en prêtant le serment d'Hippocrate et l'estime à laquelle la dernière phrase conduit pour tout le personnel médical :

"Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque. Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque."

Ils ont la mienne. Infiniment.

Crée le 12/05/20

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