Ecriture numérique et dégénérescence

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Il est désormais possible d’utiliser l’écriture manuscrite ou la signature numérique pour détecter la maladie d’Alzheimer à un stade précoce.

une personne signe sur une tablette

Publié le 5/08/2020, modifié le 01/09/23
La maladie d’Alzheimer touche de plus en plus de personnes : environ 6% des personnes de plus de 65 ans et plus de 23% des plus de 80 ans. Sa présence et son évolution varient en fonction des contextes de vie et des facteurs déclenchants ou aggravants. Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer repose sur plusieurs types d’examens (bilan clinique et biologique, tests neuropsychologiques, imagerie médicale). 


L'écriture comme marqueur de la maladie d'Alzheimer

Un projet de recherche, conduit en collaboration entre Télécom SudParis et l’Hôpital Broca, s’est fixé comme objectif d’utiliser l’écriture manuscrite en-ligne comme marqueur de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce. Les observations sont réalisées sur une tablette numérique munie d’un stylo permettant d’enregistrer les mouvements réalisés sur la tablette et jusqu’à 2 cm au-dessus.

Les résultats obtenus sont excellents : en effet, la sensibilité atteinte est de 76,7% des patients Alzheimer sur une tâche simple d’écriture, à savoir quatre séries de quatre boucles. Ce résultat représente une amélioration de 25.7% en relatif par rapport à l’approche globale de la littérature.  

Ces résultats correspondent à une approche locale (analyse point par point du signal manuscrit), prenant en compte toute la dynamique des paramètres cinématiques. Cette approche n’avait jamais été utilisée auparavant dans la littérature du signal manuscrit en ligne pour la détection de la maladie d’Alzheimer.  

Protocole expérimental  

Trois profils cognitifs composent le panel des sujets :  

  • les sujets Contrôle (« Healthy Controls : HC ») – 27 personnes
  • les personnes ayant un trouble cognitif léger (« Mild Cognitive Impairment : MCI ») - 87 personnes
  • les patients Alzheimer débutants (« Early-Stage Alzheimer Disease : ES-AD ») – 27 personnes

Six objets graphiques (cf. ci-dessous) sont requis de la part des sujets. Ils sont réalisés sur une feuille de papier posée sur une tablette numérique.

1 – écrire un texte imposé

2 – écrire un texte libre

3 – faire 4 séries de boucles cursives et continues

4 – faire des allers retours entre deux cibles

5 – suivre une spirale en pointillés

6 – dessiner des cercles sur la circonférence d’un cercle pendant 15 secondes


La tablette utilise un stylo à encre, ce qui est important dans le cadre de patients âgés. Le stylo échange des informations avec la tablette et il permet la capture d’informations intéressantes pour la détection de la maladie via des gestes de motricité fine.

Le stylo associé à la tablette enregistre toutes les 8 ms: 

  • les cordonnées du stylo (x(t), y(t));
  • l’altitude Alt(t) et l’azimut Az(t) ;
  • la pression p(t);
  • la trajectoire en l’air jusqu’à entre 1 et 2 cm au-dessus de la tablette

L’étude consiste, via des outils mathématiques, à créer des clusters de premier niveau basés sur les caractéristiques des tracés réalisés par l’ensemble sujets pour chaque objet graphique. Les caractéristiques proviennent des variables issues du stylet ou des fonctions de ses variables (vitesse, accélération, etc.). Elles sont sélectionnées en fonction de leur capacité à séparer les sujets Alzheimer, ceux à Troubles cognitifs légers et les sujets sains. 

Puis on constitue des clusters de 2ème niveau sur les personnes elles-mêmes en fonction de leurs styles d’écriture représentés par les clusters de 1er niveau.

Exemple pour les séries de boucles

18 clusters de premier niveau ont été constitués :


4 clusters de second niveau ont été constitués :


Les groupes (clusters) du premier niveau permettent de disposer d’un algorithme de classification d’une personne dans l’un des deux groupes Alzheimer et sujets sains. Pour les boucles, ainsi que pour le texte manuscrit, les variables les plus porteuses d’information sont les vitesses locales. On obtient un taux de classification de 75,9% (sujet correctement classé par l’algorithme) avec une spécificité de 75,2% (sujet contrôle correctement classé) et une sensibilité de 76,7% (sujet Alzheimer correctement classé).

Analyse des gestes graphiques  

Nous détaillons ci-dessous quelques-uns des autres gestes graphiques réalisés sur la tablette pour détecter la maladie d’Alzheimer à un stade précoce.

  • le test de Fitts, qui consiste à faire des allers-retours entre deux cibles, représentées par des carrés (voir Figure 1 ci-dessous), tout en essayant de rester à l’intérieur des carrés à chaque changement de direction (par exemple à la fin d’un aller pour revenir en arrière vers l’autre cible);
  • le test des cercles qui consiste à faire le plus vite possible des cercles concentriques de 2 cm de diamètre (voir Figure 2) avec un guidage via des pointillés sur la feuille de papier;
  • le test de la spirale qui consiste à réaliser une spirale en suivant des pointillés (figure 3).            


Parmi ces différents gestes graphiques, le test de Fitts et le test des cercles sont de même nature, car ils exigent un compromis entre précision et vitesse. Il est à noter que ces deux tâches sont les seules à avoir une durée limitée, de 15 secondes.  

Pour le test de Fitts, les paramètres cinématiques retenus sont issus des vitesses horizontales et verticales. Mais des paramètres spatiaux se révèlent aussi importants. 

Pour le cercle, la direction locale apparaît comme un paramètre important sur des demi-cercles ascendants ou descendants consécutifs. Dans cette tâche, la vitesse n’est pas un paramètre discriminant.

Pour la spirale, nous avons extrait des paramètres temporels comme le temps en l’air, le temps sur papier, le temps total, et aussi des paramètres spatiaux comme le nombre d’auto-intersections, la variance des angles de la direction du déplacement dans certains points de la spirale, les points d’intersection avec les axes avec différentes orientations (de 0 à 330°). 


Exemples du test de la spirale d’un sujet Contrôle (à gauche) et 2 sujets Alzheimer 

Des résultats prometteurs 

Les résultats montrent que le test de Fitts est plus discriminant que celui du cercle : la sensibilité atteinte est de 81,33% (la spécificité est alors de 80.67%) alors qu’elle est à peine de 62,67% avec le cercle (spécificité de 84%). Autrement dit, avec le test de Fitts, la sensibilité et la spécificité sont équilibrées, tandis qu’avec le test du cercle ce n’est pas le cas : le système tend alors à générer beaucoup de faux négatifs (des sujets Alzheimer sont pris pour des sujets Contrôle).  

Pour le test de la spirale, les combinaisons testées montrent que les paramètres nombre d’auto-intersections, temps en l’air et le ratio du temps en l’air sur le temps sur papier donnent 76.47% de sensibilité mais avec une spécificité plus faible (65.52%), ce qui montre que le système fait de faux positifs (contrôles pris pour Alzheimer).  

Nous recommandons ainsi l’analyse en-ligne du test de Fitts car ce test très court (15 secondes) a une bonne sensibilité, supérieure à 80% et donc à celle des tâches d’écriture.  

Utilisation de la signature manuscrite 

Les signatures manuscrites ont aussi été étudiées dans ce projet. Peu de travaux de la littérature existent sur la signature à des fins de détection précoce de pathologies, et en particulier sur la maladie d’Alzheimer.  

Comme conseillé par les neuro-psychologues de l’équipe de l’APHP Broca, nous avons étudié la signature au sein d’une tâche « écologique », c’est-à-dire dans le cadre d’une tâche simulant une situation de la vie quotidienne : la signature d’un chèque. Ainsi, dans le protocole d’acquisition, une simulation de chèque est posée sur la tablette et la personne acquiert sa signature après avoir rempli le chèque. La signature a ensuite été segmentée et analysée via une mesure des irrégularités dans les séquences (complexité), la « Sample Entropy », très connue dans la littérature de signaux physiologiques ainsi que dans l’analyse de tremblements.

La Figure suivante montre des exemples de signature segmentées où l’on considère l’ensemble du geste de signer, incluant la trajectoire du stylo en l’air.


Exemples de signatures d’un sujet Alzheimer (à gauche) et 1 sujet Contrôle 

Nous avons étudié cette mesure sur les cinq fonctions temporelles capturées par la tablette : les coordonnées du stylo, la pression du stylo, les angles d’inclinaison du stylo au cours du temps. 

Une première analyse montre que plus le sujet tend à avoir un profil dit normal ou Contrôle, plus sa signature aura des irrégularités, sera complexe et riche en information. D’autre part, la mesure décroît avec l’âge pour 4 de ces fonctions temporelles : les coordonnées en fonction du temps, la pression du stylo, et l’altitude du stylo (angle du stylo avec le plan de la tablette). Ainsi, nous avons constaté que ces séquences perdent en contenu d’information avec l’âge.  

La baisse des valeurs de pression et d’altitude chez les sujets Alzheimer montre que leur tenue du stylo se caractérise par moins de tonus que celle des sujets Contrôle. Notre étude montre ainsi que le système poignet-main-doigt est altéré chez les sujets touchés par la maladie à un stade précoce.

Enfin, nos résultats démontrent que la signature, qui est un geste court, balistique et non codifié contrairement à l’écriture, et donc un processus avec une part d’inconscient, révèle des marqueurs de la pathologie dans la tenue du stylo au cours du geste.

Par ailleurs, il est aussi très intéressant de noter que les études sur les signatures ont montré que les angles de tenue du stylo perturbent la vérification d’identité biométrique, et ont été à ce titre délaissés dans ce domaine. C’est précisément cette information qui dans le domaine de la santé permet d’accéder à un marqueur de pathologie précoce.

Les résultats de classification (le taux de classification correcte est de 75.71%) sont parmi les meilleurs que nous ayons obtenus. Nous recommandons ainsi l’inclusion de signatures dans un protocole d’acquisition clinique. 

Un démonstrateur dévoué à l’aide à la décision en milieu clinique.  

Le projet s’est attaché à délivrer un ensemble - protocoles, matériels et outils de diagnostic - facilement accessibles par des équipes médicalisées en milieu hospitalier.  

En effet, il est facile d’acquérir une tâche manuscrite simple (séries de boucles, ou bien un texte libre) sur une tablette numérique (Wacom Intuos 2 Pro dans le cas présent), lorsque le patient vient à l’hôpital consulter pour une plainte cognitive ou pour un suivi d’une pathologie neuro-dégénérative. 

Le médecin peut ensuite exploiter de façon différée cet enregistrement via le démonstrateur, afin de bénéficier d’une aide à la décision (diagnostic) via des informations complémentaires aux tests neuropsychologiques réalisés à l’hôpital. Le démonstrateur permet en effet d’avoir accès à un faisceau d’informations sur la motricité fine du patient : une visualisation des tracés du patient en termes de cinématique (vitesse instantanée en chaque point), une visualisation des styles d’écriture propres aux entités élémentaires du tracé (boucles ou mots) de la personne, à quel groupe de personnes appartient le patient (groupe ayant des styles similaires d’écriture sur la population), quel est l’âge moyen et le MMSE moyen (« Mini-Mental State Examination ») de ce groupe de personnes, et enfin une probabilité pour le patient d’avoir la maladie d’Alzheimer.  

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